Le Bushidō : une invention moderne au service de l’éducation et de l’idéologie ?

Suite à l’écoute d’un excellent débat sur la chaîne Youtube de l’Université Numérique de La Réunion. Ce débat explorer la nature profonde des arts martiaux : sont-ils simplement des sports ? Des outils éducatifs ? Une mémoire culturelle ? Une voie spirituelle ?

Mais ce qui nous intéresse de partager avec vous c’est la partie sur le Bushidō. Dont voici un court article compilant diverses sources. En bas de page, le débat à absolument écouter avec la participation notamment de Dr Kacem Zoughari, Germain Chamot rédacteur en chef de Dragon Magazine…

Bushidō

Le Bushidō (la « voie du guerrier ») est souvent perçu aujourd’hui comme un code d’honneur ancien, rigoureux et empreint de valeurs nobles : loyauté, courage, respect, humilité, maîtrise de soi… Mais cette image, largement diffusée dans le monde, est en réalité une reconstruction moderne, loin de la réalité historique des samouraïs.

Origine historique floue

Contrairement à une croyance répandue, le Bushidō n’a jamais été un code unifié ou écrit que tous les samouraïs auraient suivi à la lettre. Dans le Japon féodal, la priorité d’un guerrier était l’efficacité et la survie sur le champ de bataille. Les notions de respect ou d’éthique chevaleresque n’étaient ni centrales ni systématiques. Les samouraïs étaient souvent violents, brutaux, et politiquement engagés dans des conflits féodaux.

Une invention moderne : le Bushidō de Nitobe Inazō

C’est au début du XXe siècle, avec la publication de Bushido: The Soul of Japan (1899) par Nitobe Inazō, que naît vraiment le Bushidō que l’Occident connaît. Ce texte, écrit en anglais par un intellectuel japonais chrétien et éduqué à l’américaine, présente le Bushidō comme un équivalent japonais de la chevalerie européenne, ancré dans le confucianisme, le bouddhisme zen, et le shintoïsme.

Mais ce Bushidō n’est pas un reflet fidèle de l’époque des samouraïs. Il s’agit plutôt d’une interprétation idéalisée et moralisée, destinée à rendre la culture japonaise plus « acceptable » aux yeux des élites occidentales.

Un outil au service de l’État et de l’éducation

Durant l’ère Meiji (fin XIXe – début XXe), le Japon cherche à se moderniser rapidement tout en affirmant son identité nationale. Le Bushidō devient alors un outil politique et éducatif, utilisé pour :

• Renforcer l’esprit nationaliste et le sens du devoir (notamment chez les jeunes).
• Créer un citoyen loyal, discipliné, prêt à se sacrifier pour l’empereur.
• Intégrer une morale collective dans les écoles, notamment via le judo, le kendo ou d’autres disciplines intégrées dans le système scolaire.

Cette instrumentalisation s’intensifie jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, où le Bushidō est utilisé pour justifier les sacrifices extrêmes (comme les kamikazes) et glorifier la mort pour la patrie.

Après-guerre : un Bushidō pacifié

Après 1945, le Japon redéfinit son rapport aux arts martiaux et à ses traditions. Le Bushidō reste présent, mais devient désormais un symbole de développement personnel, de paix intérieure et de respect mutuel. Il est utilisé dans la pédagogie des arts martiaux modernes pour transmettre des valeurs éducatives, souvent déconnectées de leurs racines guerrières.

En résumé :

Le Bushidō tel qu’on le connaît aujourd’hui est moins une tradition antique qu’un mythe moderne, construit à la croisée des besoins politiques, éducatifs et culturels du Japon contemporain. Ce mythe reste puissant — parce qu’il inspire, structure et donne du sens — mais il est essentiel d’en comprendre les origines pour ne pas le figer dans une illusion historique.